PERMANENCE DE L’OBJET

PERMANENCE DE L’OBJET
PERMANENCE DE L’OBJET

PERMANENCE DE L’OBJET, psychologie

L’expression «permanence de l’objet» est due à Jean Piaget. Il l’a proposée dans les années 1940 pour rendre compte de tout un ensemble d’observations que ses travaux relatifs à la psychogenèse de l’enfant lui avaient fait découvrir.

Piaget montra que le nourrisson doit stabiliser un univers pratique (sensori-moteur) cohérent. À la naissance et pendant quelques semaines, le nouveau-né existe dans une réalité ne consistant qu’en «tableaux» fluents, ne durant psychiquement que le temps de leur immédiate présence. Bref, il vit au sein d’une réalité qui ne comporte pas d’objets, mais présente seulement des configurations impermanentes d’événements, vécues par le nourrisson dans l’instant de leurs survenues et intriquées à ses états subjectifs. Celui-ci va apprendre, par toute une série de constructions sensori-motrices, que lorsqu’un objet cesse d’être présent il continue d’exister. Cette accession catégoriale est nommée par Piaget «schème de l’objet permanent».

Ces conclusions de Piaget reposent sur une très large somme d’observations et de données expérimentales. Celles-ci viennent décrire stade après stade cette genèse de la permanence de l’objet au sein d’un monde relativement stable. De cette émergence progressive d’un monde vont se différencier réalité objective et réalité subjective, le sujet se comprenant finalement comme objet possible parmi d’autres. C’est ainsi que, par exemple, jusqu’à environ l’âge de 2 mois, lorsqu’un objet est présenté au nourrisson, puis recouvert d’un chiffon, cet objet semble ne plus exister pour l’enfant. À partir de 2 mois, on observe une insistance du regard à se concentrer quelques instants vers le lieu de la disparition. Ce n’est que vers 4 ou 5 mois (stade III sensori-moteur) que le nourrisson semble pouvoir coordonner ce qu’il voit et les gestes se référant à ce qu’il voit. Puis, entre 6 et 8 mois, il présente un comportement nouveau: il va écarter l’écran qui dérobe l’objet à son regard. De stade en stade, cette permanence de l’objet hors de la perception va se complexifier jusqu’à ce qu’apparaissent les fonctions cognitives de représentation.

De ce schème procèdent, selon Piaget, toutes les notions de conservation (de forme, de grandeur, de nombre, etc.), d’invariant (classe, ordre, série, groupement et groupe, etc.), les structures de l’espace et du temps (notamment le groupe des déplacements) et le schème de causalité. Il est en interaction avec la genèse des constances perceptives. C’est de lui que procèdent la connaissance de l’objet par le sujet (l’ensemble des connaissances empiriques) et la connaissance par le sujet de l’action sur les objets (qui correspondrait à l’ensemble des connaissances formelles).

Or, si Piaget s’est consacré quasi exclusivement à la psychologie cognitive, il a lui-même fait remarquer combien l’aspect affectif des conduites devait être pris en compte dans les études de psychologie génétique. L’étude de la genèse de la vie affective du nourrisson puis de l’enfant montre, d’une façon toute analogue, une lente évolution par laquelle le bébé passe d’un état d’indifférenciation complète entre lui et sa mère (ou tout tenant-lieu), à un état où il s’éprouve moi séparé et face à une réalité d’autres moi autonomes, notamment sa mère. Il y a bien une forte correspondance entre les stades sensori-moteurs I et II tels que Piaget les a définis et ce que Henri Wallon nommait «symbiose moi-autrui» ou Freud «narcissisme primaire». Aux stades III et IV, l’enfant présente tout un ensemble de conduites nouvelles liées à sa réaction à l’inconnu: il est inquiet face à un étranger et manifeste des réactions émotionnelles devant des situations nouvelles. Ce n’est qu’aux stades V et VI — et donc, semble-t-il, en correspondance nécessaire avec l’émergence du schème de l’objet permanent — que s’opère la transformation psychique que Freud a soulignée comme «choix de l’objet » affectif. Autrui, et essentiellement la mère, se met à exister pour le bébé dans son identité propre, en réciprocité de l’émergence du moi différencié. La mère (au sens de la réalité globale qui soigne, nourrit, protège, etc.) est le premier objet permanent. C’est par cet objet privilégié que le nourrisson expérimente la permanence du monde: elle disparaît, mais peut réapparaître. Son absence ne signifie pas sa néantification irréversible. Comme sur le plan cognitif, c’est ainsi un même processus qui fait découvrir à l’enfant à la fois sa dépendance de l’extériorité et sa distance d’autonomie vis-à-vis de celle-ci.

Le schème de l’objet permanent possède donc une importance psychologique très grande. Il semble constituer un des ponts les plus solides entre les versants cognitif et affectif de la psychologie.

Toutefois, alors que ces données expérimentales et d’observation semblaient atteindre le niveau profond de la psychogenèse, depuis les années 1960 tout un ensemble de travaux a bouleversé complètement notre compréhension de la vie psychique des nouveau-nés. Au départ, ces travaux n’étaient le fait que de quelques chercheurs (Fanz, puis T. G. Bever et J. Melher). Les observations montraient des performances étonnantes chez le nouveau-né. Or celles-ci semblaient ne pas pouvoir s’expliquer si l’on acceptait l’idée piagétienne que l’enfant, pendant les premiers mois de sa vie, ne possède aucune structure cognitive relative à la permanence d’un monde d’objets. Depuis lors, les données expérimentales ont non seulement confirmé ces faits, mais aussi montré effectivement combien le nouveau-né vit déjà dans un univers cognitif structuré, et surtout combien il peut déjà agir sur des objets. Ce qui est alors à comprendre est l’apparente disparition de ses possibilités au cours des premiers mois. Le nom qui est désormais le plus associé à ces expérimentations est celui de T. G. R. Bower.

Il s’agit moins d’une remise en cause des travaux précédents que de la mise en évidence de leur caractère seulement périphérique. En rien ceux-ci n’atteignent le noyau organisationnel de la psyché. C’est à un niveau de la réalité psychique plus profond que la psychologie a eu brusquement accès, en correspondance d’ailleurs avec l’immense développement des neurosciences et de la psycholinguistique (notamment l’œuvre théorique de N. Chomsky). Le débat qui a eu lieu entre Noam Chomsky et Jean Piaget (cf. Théories du langage. Théories de l’apprentissage , 1979) montre bien qu’entre ces deux générations de problématiques il y a moins conflit de thèses opposées que passage épistémique d’un niveau de structures cognitives de surface (ce qui ne veut nullement dire superficialité des analyses de Piaget) à un niveau de structures psychiques plus profond (ce dernier ne devant d’ailleurs nullement être pris pour fondamental).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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